Les vétos

Les vétos

Comédie dramatique par Julie Manoukian avec Clovis Cornillac, Noémie Schmidt, Michel Jonasz, en salle actuellement.

Au cœur du Morvan, Nico (Clovis Cornillac), le dernier vétérinaire de la région, tente de trouver un équilibre entre ses patients, sa clinique et sa famille. Mais la relève arrive avec Alexandra (Noémie Schmidt), diplômée depuis 24H… Le premier long-métrage de la fille du musicien André Manoukian parle d’un sujet hautement Bonjour Le Bon : le travail au quotidien des vétérinaires de campagne, un métier méconnu et largement sous-estimé… Rencontre avec le premier rôle du film, Clovis Cornillac, la réalisatrice Julie Manoukian et la vétérinaire-consultante, Laetitia Barlerin.

ENTRETIEN AVEC JULIE MANOUKIAN 

Clovis Cornillac et Julie Manoukian

D’où vous est venue l’idée des VÉTOS ? 

Elle m’a été soufflée par le producteur Yves Marmion. Il cherchait quelqu’un pour raconter une histoire sur les vétérinaires de campagne. « C’est un métier, m’avait-t-il dit, qui touche beaucoup de gens de plus en plus sensibles au bien-être animal. Je suis sûr qu’on peut raconter une belle histoire ». Et il avait ajouté que si j’arrivais à l’écrire, il m’en confierait la réalisation. J’en étais restée presque sans voix : « réaliser » est le rêve de ma vie, depuis l’enfance ! Quand j’ai commencé mes recherches sur les vétérinaires en zone rurale, j’ai découvert leurs conditions de travail, la pression croissante…

Qu’avez-vous découvert exactement ? 

Ce sont des gens qui ont mis leur vie au service des autres. Ils travaillent dans des conditions difficiles, avec des horaires de dingue, pour des salaires sans rapport avec le boulot qu’il leur a fallu fournir pour avoir leur diplôme, l’un des plus difficiles à obtenir. Un véto de campagne doit savoir soigner pratiquement tous les animaux, domestiqués ou pas, de compagnie ou sauvages, sans compter ceux qui appartiennent à des espèces exotiques. Il doit être disponible jour et nuit, aussi bien pour les mises bas que les autres urgences. En plus d’aider à donner la vie, ils sont en outre les seuls à supporter cette responsabilité exorbitante du droit d’euthanasie sur leurs « patients ». Ce n’est pas rien ! Je suis tombée en admiration pour leur métier, qu’ils exercent toujours avec passion et abnégation, malgré un statut qui se délite et des clients qui leur en demandent plus qu’avant.

Quelles ont été les scènes les plus délicates à tourner ? 

La scène du vêlage par exemple nous a beaucoup préoccupés. J’y tenais beaucoup parce que c’était une des scènes pivot du film, celle qui fait tout basculer pour Alex. On avait prévu de devoir la truquer et fait fabriquer de fausses pattes de veau au cas où. Mais j’espérais de tout mon cœur qu’on arrive à la tourner en vrai. On a eu une chance folle. Quand nous sommes arrivés dans le Morvan, nous avons trouvé l’étable qui allait nous servir de décor. Dedans, il y avait quinze vaches, toutes primo parturientes, ce que nous voulions, car ces vaches ont souvent besoin de l’aide d’un vétérinaire pour vêler. Elles devaient toutes mettre bas pendant le tournage, ce qui était parfait.

Et puis au fur à mesure qu’elles passaient des échos de contrôle, le véto, qui était aussi notre consultant, réduisait le nombre de vaches qui tombaient dans nos dates : de 15, on est passés à 5, puis à 3, puis à une ! La date est arrivée, c’était un vendredi. On n’était pas très rassurés. Et puis, Maxime, notre consultant, est venu nous prévenir que nous devions nous tenir prêts, que l’événement était imminent. On a installé la lumière dans l’étable et on a attendu dehors, devant la table régie, et petit à petit, tout le monde s’est mis à raconter ses histoires de naissances, c’était vraiment chouette.

Et puis Maxime nous a dit que c’était le moment. On est entré en équipe réduite, dans un silence quasi religieux, pour ne pas effrayer la vache. Noémie s’était préparée, et elle a vécu le vêlage du début à la fin, en faisant certains gestes elle-même. Le plan que je voulais à tout prix, c’était le premier regard du nouveau-né sur celle qui l’a mise au monde, et on a pu le filmer. L’émotion nous a submergés. On s’est tous mis à pleurer en silence dans nos mouchoirs. Noémie a été formidable de sang-froid. Elle n’est même pas tombée dans les pommes ! (rire) 

Quel est le message de votre film ? 

Que les « vétos » sont des gens indispensables. Et qu’ils ont besoin d’aide. 

À qui s’adresse LES VÉTOS ? 

À tout le monde. C’est une histoire de famille, de blessures qui se referment, et de solidarité. Tous ceux à qui ça peut faire du bien sont les bienvenus ! 

ENTRETIEN AVEC CLOVIS CORNILLAC

Clovis Cornillac film Les Vétos

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à cette aventure ? 

Quand j’ai reçu le scénario, j’ai tout de suite été accroché par son titre : LES VÉTOS. Depuis trente-cinq ans que je fais du cinéma, c’était la première fois que je voyais un projet qui parle de ce métier si populaire auprès des enfants, et que, personnellement, j’admire depuis toujours en raison de l’abnégation qu’il demande à ceux qui l’exercent, puisque les animaux ne peuvent pas dire merci ! Que personne n’ait encore jamais pensé à mettre ces gens-là en vedette d’un film m’a soudain paru ahurissant ! Avant même d’ouvrir le scénario, j’avais déjà trouvé l’idée formidable. À sa lecture, mon enthousiasme n’est pas retombé. 

Pourquoi ? 

J’ai trouvé très intelligent qu’il soit axé sur le métier de vétérinaire en zone rurale car on le connaît mal. Il est varié car les maladies et les techniques de soins sont évidemment différentes selon qu’on ait devant soi, un taureau, un mouton ou une poule. Il est moins lucratif que l’on pense, à cause des difficultés financières du monde paysan, et il est fatigant, en raison de la disponibilité qu’il exige et des distances souvent importantes à parcourir entre deux visites.

Pas étonnant que la désaffection des campagnes par les médecins touche aussi les vétérinaires ! Le brassage de toutes ces caractéristiques donnait au scénario une vraie tension, d’autant que Julie Manoukian l’avait très intelligemment bâti autour d’une histoire de transmission, entre un véto chevronné qui craque et une jeune diplômée sans expérience qu’il veut convaincre de rester pour le seconder... J’ajoute qu’en plus de son contenu, que je trouvais passionnant, LES VÉTOS était d’une facture comme je les aime : simple, sans prétention, à hauteur d’homme. 

Vous êtes-vous formé à la pratique de ce métier avant le tournage ? 

Opération Les Vétos Clovis Cornillac

Oui, un peu. J’ai passé plusieurs jours avec un vétérinaire. Je l’ai regardé faire, mais surtout j’ai observé son comportement psychologique. En fait, ce qui m’intéresse chez un professionnel dont le métier requiert une grande habileté manuelle, c’est moins d’essayer de reproduire au plus près sa gestuelle que de raconter ce dont il n’est pas conscient, son état d’esprit par exemple, ou son humanité. Apprendre à refaire un mouvement, c’est bien, mais, comme on fera toujours moins bien qu’un professionnel chevronné, on sait que sur le tournage, pour les gros plans, on sera doublé !

De toutes façons, ce n’est pas dans la reproduction mimétique de tel ou tel geste que se niche la crédibilité d’un personnage, mais dans son attitude générale. En l’occurrence, ici, comment un vétérinaire approche les animaux, comment il leur parle. C’est cela, qu’à ma manière j’ai essayé de restituer. Capter l’essence des choses et la rendre, pour ainsi dire, palpable, sont ce qui ancre un rôle, lui donne de la vérité. En fait, le plus grand risque pour les vétérinaires de campagne, ce ne sont pas les bêtes, même les plus impressionnantes ou les plus sauvages, c’est leur voiture ! Les vétérinaires passent un temps fou sur les routes. Comme ils sont fatigués et obnubilés par leur emploi du temps, ils sont tout le temps à la merci d’un accident. 

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez vu LES VÉTOS terminé ? 

Franchement, j’ai été content. Il est comme je l’avais lu : familial et tendre. Il parle à tout le monde. On y apprend plein de choses, sur la désertification des campagnes, la dureté de la vie de ceux qui y vivent, les vétérinaires, bien sûr, mais aussi, les paysans. Rien n’est asséné. Il n’y a pas de misérabilisme. Seulement de la passion. 

ENTRETIEN AVEC LAETITIA BARLERIN

Comment êtes-vous arrivée sur le projet ? 

Vétérinaire ausculte chèvre

J’ai eu la chance inouïe d’assister à la naissance et au développement du film puisque j’ai pu collaborer dès l’écriture du scénario, dès sa première version. Yves Marmion, le producteur, m’a contactée pour que je rencontre Julie Manoukian qui travaillait sur le scénario d’un long-métrage avec, comme héros, des vétérinaires. Je m’attendais à une énième histoire de vétérinaire de zoo ou de brousse qui sauve des animaux sauvages gentils comme des chats (!). Des clichés... Quelle surprise et quel soulagement de constater que pour une fois au cinéma, le scénario parlait de la vie de vétos ruraux (ou plutôt mixtes) en essayant d’être au plus près de la réalité. J’ai été bluffée par les connaissances de Julie sur notre profession : elle avait fait en amont une véritable enquête, lu des blogs et des livres de confrères et consœurs... Elle avait compris en partie ce que cachait ce métier-passion, le quotidien, les difficultés, les déconvenues, les relations avec la clientèle, la surcharge de travail etc. et en même temps, les bonheurs qu’il nous apporte.

Nous avons longuement échangé sur l’exercice vétérinaire d’aujourd’hui : la féminisation, les premières expériences en sortant de l’école véto, mais aussi sur mon expérience vétérinaire, mes anecdotes. Mon rôle a été de la conseiller d’un point de vue vétérinaire et technique et de corriger sur la forme et le fond le scénario, c’est-à-dire les situations (plausibles ou pas), les dialogues avec les termes médicaux, le choix des animaux (quel rongeur comme petit compagnon de l’héroïne ? quel animal pour l’intoxication au chocolat ?...) et des affections... Il y a eu plusieurs versions du scénario et donc plusieurs corrections et allers-retours entre Julie et moi pendant de nombreux mois. Jusqu’à l’ultime version envoyée aux comédiens pressentis ! Clovis Cornillac et Noémie Schmidt ont adoré le scénario et tout est allé très vite après, jusqu’au tournage. La production m’a dit qu’il était rare qu’un film se monte si vite et que la thématique y était pour beaucoup. 

Vous avez assisté à une journée de tournage : quelles ont été vos impressions ? 

J’ai été invitée sur le tournage dans le Morvan pour rencontrer les comédiens et assister à des scènes « vétérinaires ». Une ancienne école avait été transformée en clinique vétérinaire. Un véritable exploit pour l’équipe technique : j’avais vraiment l’impression de rentrer dans une salle d’attente, une salle de consultation ou de chirurgie. Aucune fausse note, le moindre détail avait été pensé, même le chat-mascotte qui dormait sur le comptoir. Beaucoup d’accessoires avaient été empruntés aux cliniques vétérinaires du coin. Il ne manquait plus que les patients ! Mieux, Camille Frombaum et Maxime Chassaing, confrères vétérinaires consultants sur le tournage, surveillaient en direct sur le magnéto les gestes des « vétérinaires » et les corrigeaient. Julie m’a vraiment ébahie par son sens du détail et du réalisme. Elle faisait recommencer la scène si un geste n’était pas approprié ou un accessoire médical pas à sa place. 

Quel regard portez-vous sur la question de la désertification vétérinaire en milieu rural ? 

Vétérinaire ausculte chien

C’est une vraie problématique comme en médecine humaine et la profession entière travaille dessus pour sortir de cette crise. Une des solutions trouvée est de proposer aux jeunes étudiants vétérinaires des stages tutorés à la campagne pour mieux appréhender un milieu et un exercice qu’ils ne connaissent pas ou peu. Et cela marche ! La plupart de ces stagiaires décident ensuite d’exercer en milieu rural. C’est d’ailleurs un peu l’histoire d’Alexandra, l’héroïne du film... En fait, ce film fait du bien au moral de tous, et surtout des vétérinaires. Je pense qu’il va faire naître des vocations chez les jeunes. Et rien que pour cela, Julie et son équipe peuvent être fiers du résultat.

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